Le cessionnaire de titres sociaux est, avant tout, un acheteur comme les autres. Les valeurs mobilières sont dans le commerce juridique au même titre que n’importe laquelle des marchandises. Pour autant, avant de participer à une cession d’action, il est essentiel de comprendre quelles sont les protections légales du cessionnaire en l’absence de contrat de cession suffisamment sophistiqué. Du contrat spécial de vente aux vices du consentement, le droit commun encadre la cession de titres sociaux.
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Sommaire
Les vices du consentement du cessionnaire
Les vices du consentement comprennent la violence, l’erreur et le dol. L’hypothèse de la violence est suffisamment marginale pour ne pas être étudiée en détail. Il conviendra seulement de retenir que le cessionnaire peut obtenir l’annulation de la cession s’il prouve avoir signé le contrat de cession sous la pression d’une contrainte qui lui inspirait la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune (art. 1140 c. civ.). Les hypothèses de l’erreur (art. 1132 C. civ.) et du dol (art. 1139 C. civ.) méritent davantage d’attention.
L’erreur du cessionnaire
Les conditions d’invocation de l’erreur par le cessionnaire sont strictes et sa sanction est la nullité.
Les strictes conditions d’invocation de l’erreur du cessionnaire
Le vice du consentement de l’erreur ne peut être invoqué que lorsque l’erreur porte sur les « qualités essentielles de la chose vendue ». Or, la qualité essentielle d’une action ou d’une part sociale est de disposer de pouvoirs sociaux. La personnalité morale de la société fait écran entre la qualité essentielle des titres et le patrimoine de la société.
Toutefois, la jurisprudence a accepté de sanctionner l’erreur sur les qualités substantielles des droits sociaux à la condition que la société soit dans l’impossibilité de poursuivre son activité économique et de réaliser son objet social (Cass. com., 1er oct. 1991, Quille).
La sanction de l’erreur du cessionnaire
La sanction de l’erreur est la nullité de la cession. Il est alors dans l’intérêt du cédant de veiller à ce que la société cédée soit en mesure de poursuivre son objet social.
Par exemple, la cession d’une société dont l’essentiel de l’actif était un matériel spécifique lui-même juridiquement indisponible est annulée (Cass. com., 17 oct. 1995). Il en va de même pour la cession d’un hôtel-restaurant qui a fait l’objet d’une fermeture administrative (Cass. com., 4 déc. 2001).
Le dol du cessionnaire
Le dol prouvé par le cessionnaire permet de faire valoir l’erreur sur la valeur. La réparation de son préjudice demeure toutefois limitée.
Le dol source d’erreur sur la valeur
En principe, l’erreur sur la valeur n’est pas excusable (art. 1136 C. civ.). Or, l’erreur qui résulte du dol est toujours excusable et peut être sanctionnée même si elle ne porte que sur la valeur (art. 1139 C. civ).
Il revient au cessionnaire de prouver d’une part l’inadéquation entre le prix payé pour les titres sociaux et d’autre part des manœuvres dolosives de la part du cédant (Cass. Com. 12 mai 2015 ; art. 1137 C. civ.).
La réparation limitée du préjudice du cessionnaire
La réparation du préjudice du cessionnaire est limitée en l’absence de garantie de passif. En effet, dans un arrêt du 10 juillet 2012, la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que le préjudice est seulement celui de la perte de chance de ne pas avoir contracté à des conditions plus avantageuses. La nullité de la cession demeure possible. Or, le cessionnaire n’y a pas toujours intérêt.
Donc, le cessionnaire déçu peut se prévaloir des vices de son consentement. Qu’en est-il du droit commun de la vente ?
Le droit commun de la vente
Le Code civil assure la protection du cessionnaire sur le fondement du droit commun de la vente. Ce dernier peut se prévaloir d’une double garantie, des vices cachés d’une part, d’éviction d’autre part.
Garantie des vices cachés
La garantie des vices cachés est assurée par les articles 1641 et suivants du Code civil. Le cessionnaire déçu ne peut s’en prévaloir qu’en cas d’impossibilité pour la société de poursuivre son activité. Il a la liberté de choisir entre une action estimatoire et rédhibitoire.
L’impossibilité pour la société de poursuivre son activité
De la même manière que pour l’erreur, il faut distinguer le vice concernant le patrimoine de la société et le vice affectant les titres sociaux. La personnalité morale fait encore écran.
Par conséquent, la Cour de cassation fait preuve d’une grande rigidité. Elle exige que la société soit dans l’impossibilité de réaliser son objet social ou d’avoir une quelconque activité économique (Cass. com., 12 déc. 1995). À défaut, la garantie des vices cachés n’est pas invocable par le cessionnaire.
Action estimatoire et rédhibitoire
Conformément à l’article 1644 du Code civil, le cessionnaire dispose de deux réparations possibles. D’une part, il peut réaliser une action estimatoire ; il garde la chose et se fait rendre une partie du prix. D’autre part, il peut réaliser une action rédhibitoire ; il rend la chose et se fait restituer le prix.
Garantie d’éviction
La garantie d’éviction trouve sa source aux articles 1626 et suivants du Code civil. Elle permet d’interdire au cédant d’une société de la concurrencer postérieurement à la cession. La portée de la garantie d’éviction est remise en question par le contrôle de proportionnalité opéré par les juges de cassation.
L’exigence d’une éviction totale
En matière de garantie d’éviction, la Cour de cassation est stricte. Depuis l’arrêt Ducros de 1997 rendu par sa chambre commerciale, elle exige que le rétablissement du cédant soit de nature à empêcher le cessionnaire de poursuivre l’activité économique de la société et de réaliser l’objet social de la société.
Autrement dit, le cessionnaire pourra faire valoir la garantie d’éviction si le cédant des titres capte la totalité de la clientèle de la société cédée.
La portée de la garantie limitée par le contrôle de proportionnalité
La Cour de cassation est venue limiter la portée de la garantie d’éviction en réalisant un contrôle de proportionnalité entre la liberté d’entreprendre du cédant et le droit de propriété du cessionnaire. Il résulte d’un arrêt de la chambre commerciale du 10 novembre 2021 que les juges d’appel doivent apprécier le temps écoulé entre la cession et le rétablissement du cédant. Donc, la garantie d’éviction serait limitée dans le temps.
Désormais, vous en savez davantage sur les protections légales du cessionnaire d’actions ou de parts sociales. En complément, nous vous proposons de lire notre article sur la protection conventionnelle du cessionnaire grâce à la garantie d’actif et de passif. Si vous envisagez de céder ou d’acquérir des titres sociaux, nous vous invitons à prendre contact avec le cabinet d’avocats Billand & Messié afin de bénéficier de conseils personnalisés.
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