La catégorie des dirigeants est ici entendue au sens le plus large, c’est-à-dire en visant toutes les personnes, physiques ou morales, qui seraient investies de l’un des trois pouvoirs suivants :
- Le pouvoir de représentation externe, c’est-à-dire dans les rapports avec les tiers à la société. Ce pouvoir appartient notamment aux gérants des sociétés à responsabilité limitée et sociétés en nom collectif, et aux directeurs généraux dans les sociétés anonymes.
- Le pouvoir de direction interne, c’est-à-dire dans les rapports entre la société et les associés.
- Le pouvoir de contrôle et de surveillance, c’est-à-dire le pouvoir reconnu au Conseil d’administration ou au Conseil de surveillance dans les sociétés anonymes.
Il est ici entendu une catégorie disparate, mêlant des personnes avec des statuts différents. Néanmoins, nous nous intéresserons aux règles communes à tous ces dirigeants, qui tiennent à la qualité de dirigeant, à leurs pouvoirs et à leurs responsabilités.
Deux choses seront évoquées dans cet article :
- La nature juridique des fonctions de direction ;
- Les règles relatives à l’existence de ces fonctions de direction.
Une demande spécifique ? Un avocat vous recontacte
Sommaire
La nature juridique des fonctions de direction
Les fonctions de direction présentent une spécificité marquée qui doit être soulignée à trois égards différents.
Les dirigeants, des mandataires ?
Les dirigeants ne sont pas des mandataires, alors même pourtant que dans le vocabulaire utilisé on parle souvent de mandataires sociaux. Ce ne sont pas des mandataires dans la mesure où ils sont des organes de la société. Autrement dit, ils sont plutôt des représentants légaux de la société et non pas des représentants conventionnels. Leurs pouvoirs sont définis par la loi et non pas par un contrat passé entre eux-mêmes et la société.
Les dirigeants, des commerçants ?
Les dirigeants ne sont pas non plus des commerçants, alors même pourtant que le dirigeant d’une société commerciale va faire des actes de commerce à titre de profession habituelle. Néanmoins, il n’en sera pas pour autant un commerçant puisqu’il agit pour le compte de la société et non pas pour son compte personnel, de sorte que c’est la société qui est commerçante et non pas lui.
Les dirigeants, des salariés ?
Les dirigeants ne sont pas des salariés, alors même pourtant que la plupart du temps ils sont rémunérés pour leurs fonctions. Ceci s’explique par le fait qu’ils n’exercent pas leurs fonctions de direction en étant dans un état de subordination.
Là aussi le vocabulaire est parfois ambigu dans la mesure où on emploie souvent l’expression de dirigeant salarié, expression qui est, dans certains cas, vraiment inexacte, et dans d’autres assez proche de la réalité.
L’expression est véritablement inexacte dans deux cas :
- Le cas où le dirigeant est seulement rémunéré pour ses fonctions, mais rémunéré en tant que dirigeant. L’expression est inexacte puisque la rémunération versée au dirigeant n’a absolument pas la nature juridique d’un salaire.
- Le cas où le dirigeant est assimilé à un salarié, en ce sens qu’il est soumis au même régime fiscal et social qu’un salarié. C’est le cas notamment des directeurs généraux et des directeurs généraux délégués d’une société anonyme, et des gérants d’une société à responsabilité limitée. Ils bénéficient du régime général de la Sécurité sociale, et leur rémunération est imposée au titre de l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des traitements et salaires. Cela étant, ils ne sont pas pour autant des salariés. Ainsi, du point de vue des allocations chômage, ils ne sont pas assimilés à des salariés, puisqu’ils n’en bénéficient pas.
En revanche, il y a d’autres cas où parler de dirigeant salarié n’est pas inexact. Il s’agit des cas où l’intéressé cumule les deux qualités de dirigeant et de salarié. Mais là encore, il faut distinguer, dans la mesure où ce cumul peut se présenter de deux manières différentes :
- Le cumul peut être un cumul réel, dans le cas où on a affaire à un dirigeant qui, parallèlement à ses fonctions sociales, exerce des fonctions salariées distinctes et rémunérées séparément, qu’il exerce d’ailleurs en état de subordination. Dans ce cas, il va effectivement cumuler les deux statuts : dirigeant et salarié.
- Le cumul peut être un cumul idéal, dans le cas où un dirigeant exerce ses fonctions sociales au titre d’un contrat de travail passé avec un tiers (souvent une société du même groupe que celle qu’il dirige). Par exemple, une société-mère qui emploie quelqu’un pour diriger une société filiale. Ici, les fonctions ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. Il n’y a alors pas véritablement de cumul de statuts. La jurisprudence admet quand même, de manière assez critiquable, de faire jouer le cumul de statuts, alors même qu’il ne devrait y avoir qu’un statut unique. La loi n°2016-1691 dite loi Sapin II en date du 9 décembre 2016 a introduit le Say on pay. Cette loi porte l’idée de transparence de la rémunération et des avantages divers des dirigeants.
Les conditions d’existence des fonctions de direction
Il s’agit de s’intéresser aux deux extrêmes de l’existence de ces fonctions : l’accès aux fonctions et la cessation des fonctions.
L’accès aux fonctions
L’accès aux fonctions obéit à des conditions différentes d’une société à l’autre, d’un dirigeant à l’autre. Il y a néanmoins deux séries de règles générales :
– Quant à l’aptitude à être dirigeant, elle implique le respect de trois conditions négatives :
o L’absence d’incapacité : un dirigeant de société ne peut pas être un mineur non émancipé ni un majeur protégé.
o L’absence d’interdiction : il ne faut pas être frappé d’interdiction de diriger, d’administrer ou encore de gérer une personne morale. Ces interdictions peuvent être une peine complémentaire pour certaines infractions (banqueroute, abus de biens sociaux). Cela étant dit, ces interdictions sont plus prononcées rarement, afin de ne pas handicaper les dirigeants de manière définitive.
o L’absence d’incompatibilité : les textes visent ainsi certaines incompatibilités. Par exemple, un fonctionnaire ne peut pas être dirigeant de certaines sociétés commerciales, les parlementaires, les avocats, les notaires sont frappés de certaines interdictions de direction de certaines sociétés.
– Il y a également des conditions tenant à la publicité de la nomination. Quels que soient le type de société, le type de dirigeant, certaines mesures de nomination doivent être présentées au public :
o Une annonce dans un journal d’annonces légales ;
o Une mention au RCS ; et
o Un avis au BODACC.
Ces formalités de publicité ont un effet habituel, celui de rendre la nomination opposable aux tiers, mais elles ont aussi un second effet : ces formalités de publicité ont pour effet de purger de ses vices éventuels la nomination. C’est ce qui résulte de l’article L.210-9 du Code de commerce, d’où il résulte qu’après l’accomplissement des formalités de publicité, il n’est plus possible de contester la validité de la nomination, que ce soit par la société elle-même ou par les tiers.
La cessation des fonctions
La cessation des fonctions de dirigeant peut résulter d’événements divers, tels que :
– l’arrivée du terme (si le dirigeant avait été nommé pour une durée déterminée) ;
– le décès ou l’incapacité ou l’interdiction qui frapperait le dirigeant ; et
– la dissolution ou la transformation de la société.
Elle est soumise à la publicité qui a un effet moins radical que s’agissant de la nomination puisque le seul effet de la publicité de cessation des fonctions est que cela la rend opposable aux tiers. En revanche, elle n’influe pas sur la validité de la cessation.
Les fonctions de dirigeant peuvent aussi cesser encore, et de manière plus fréquente, de
– la démission du dirigeant ;
– la révocation du dirigeant.
La démission du dirigeant
En ce qui concerne la démission du dirigeant, c’est le dirigeant lui-même qui entend cesser ses fonctions en présentant sa démission. Cette démission présente deux caractères :
– Elle provient d’une décision unilatérale, qui ne nécessite aucune acceptation et qui ne peut pas être rétractée. Le dirigeant peut néanmoins demander l’annulation de la démission pour vice du consentement.
– C’est une décision libre, en ce sens qu’en principe, la démission ne peut pas être source de responsabilité pour le dirigeant, à moins qu’elle présente un caractère abusif compte-tenu de son caractère brutal ou le fait qu’elle soit donnée à contretemps (si elle est donnée la veille d’un jour important pour la société). Le dirigeant ne peut pas non plus donner à l’avance sa démission. Une lettre de démission qui aurait été délivrée en blanc par le dirigeant et sortie à un moment par les associés serait assimilée à une révocation. Si tel était le cas, la cessation de fonction serait considérée comme une révocation et non pas comme une démission.
La révocation du dirigeant
La révocation du dirigeant est l’hypothèse où l’initiative de la cessation des fonctions du dirigeant est de quelqu’un d’autre que le dirigeant lui-même. La révocation peut être judiciaire, mais elle est le plus souvent décidée par les associés ou par un organe social.
Les conditions d’une telle révocation sont variables, mais demeure un principe constant, celui de la libre révocabilité. De sorte qu’une société est toujours libre de se défaire de l’un de ses dirigeants, et toutes les stipulations qui pourraient tendre à limiter cette liberté sont nulles.
Quant aux effets de cette révocation, il y a deux aspects :
– La révocation met fin aux fonctions du dirigeant immédiatement et sans rétroactivité.
– La question se pose de savoir si cette révocation du dirigeant lui ouvre un droit à indemnisation à cause de la révocation (réparation du préjudice que lui cause la révocation). La réponse est nuancée, et varie selon les hypothèses :
o Si la révocation est une révocation ad nutum (traditionnellement de mise pour révoquer les dirigeants dans une société anonyme et encore pour certains dirigeants : les administrateurs). Il ne peut y avoir de convention qui entrave cette faculté de révocation du dirigeant. Ainsi, le principe est que la révocation peut intervenir à tout moment et sans motif particulier. Dans ce cas, il résulte qu’en principe elle ne peut pas donner lieu à réparation.
Il y a néanmoins une limite qui tient à l’abus du droit de révocation. L’abus ne pourra jamais résulter des motifs de la révocation mais peut seulement résulter des circonstances dans lesquelles la révocation a eu lieu. A cet égard, la jurisprudence actuelle retient deux types de circonstances qui peuvent rendre la révocation abusive et ainsi donner droit à réparation :
- Si la révocation est entourée de circonstances portant atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant, notamment si on a donné à cette révocation une publicité qui porterait atteinte à l’honneur de la personne, ou si elle est entourée de circonstances vexatoires ou humiliantes à l’encontre du dirigeant.
- Si la révocation a été décidée brutalement, sans respecter le devoir de loyauté et le principe de contradiction, notamment si l’intéressé n’a pas été en mesure de présenter sa défense, et notamment par exemple si le dirigeant n’a pas eu connaissance des motifs de sa révocation avant le vote (Cass. Com., 14 mai 2013, pourvoi n°12-22.845).
o Si la révocation est une révocation pour juste motif (dans les autres cas), la révocation doit trouver sa justification dans une faute, un empêchement, ou plus généralement une circonstance de nature à porter atteinte à l’intérêt social.
A défaut d’un tel juste motif, la révocation reste efficace mais ouvrira droit à indemnisation du préjudice causé. C’est ce cas qui concerne les gérants de société à responsabilité limitée ou de société en nom collectif, qui sont révocables uniquement pour juste motif.