Les dirigeants de sociétés doivent veiller à respecter l’intérêt social, à savoir l’intérêt de la société qu’ils dirigent. Une société étant une personne morale indépendante de ses dirigeants, ces derniers doivent toujours agir dans l’intérêt de cette société sous peine de se voir reprocher des fautes de gestion.
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Sommaire
Qu’est-ce que l’intérêt social ?
L’intérêt social est marqué par l’absence de définition légale. Le rapport Viénot en propose une définition fonctionnelle. L’intérêt social est assimilé à l’intérêt supérieur de la personne elle-même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de celles de ses salariés, de ses créanciers, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt commun, qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise.
La notion d’intérêt social a été consacrée par la loi du 22 mai 2019 dite loi PACTE. Un second alinéa est ajouté à l’article 1833 du Code civil lequel dispose que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
Quelles sanctions en cas de violation de l’intérêt social?
L’article 1844-10 du Code civil détermine le droit commun des nullités en droit des sociétés. Il doit être lu de manière complémentaire avec l’article L.235-1 du Code de commerce, propre aux sociétés commerciales. Ces articles rejettent expressément que le dernier alinéa de l’article 1833 puisse être une cause de nullité des actes et délibérations.
La distinction des actes pris en rapport avec l’ordre interne et l’ordre externe
La sanction de la violation de l’interêt social par les actes formés vis-à-vis des organes de la société
Lorsque les délibérations ou actes concernent la société elle-même, la seule contrariété de l’intérêt social ne saurait justifier leur annulation.
Dans un arrêt du 13 janvier 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’Appel qui prononce l’annulation de l’acte litigieux contraire à l’intérêt social (en l’espèce des primes exceptionnelles). Elle juge que la seule contrariété des délibérations à l’intérêt social n’est pas une cause d’annulation, en l’absence de violation d’une disposition légale propre aux sociétés commerciales, d’une loi régissant les contrats, d’une fraude ou d’un abus de majorité. Cette décision est propre aux actes formés en rapport avec l’ordre interne de la société et ne concerne pas les actes passés par celle-ci avec un tiers.
La solution découle d’une application stricte de l’article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce. Celui-ci ne permet l’annulation d’un acte ou d’une délibération non modificative des statuts qu’à la double condition que l’une ou l’autre viole « des dispositions impératives du livre II dudit code ou (…) des lois qui régissent les contrats ». Le texte ne se réfère aucunement à la contrariété à l’intérêt social pour ouvrir une action en nullité.
D’autre part, le fait que l’acte formé contrairement à l’intérêt social ne puisse être annulé n’écarte pas pour autant la responsabilité civile de son auteur. En effet, le fait de mettre en péril les intérêts de la société, par exemple dans l’arrêt du 13 janvier 2021 avec des primes beaucoup trop importantes eu égard à son activité, pourrait constituer une faute.
Devient envisageable une action qui, menée à l’encontre des associés fautifs, viserait à réparer le préjudice subi par la société elle-même. Une décision collective contraire à l’intérêt social pourrait également engager la responsabilité des associés à l’égard d’autres personnes que la société. En effet, la Cour de cassation a admis qu’un tiers à la société puisse engager la responsabilité de celui qui aurait commis une « faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec les prérogatives attachées à sa qualité d’associé » (Cass. com., 18 février 2014).
La sanction de la violation de l’intérêt social par les actes formés vis-à-vis des tiers
Au sein de l’ordre externe, il faut opérer une nouvelle distinction entre les sociétés à responsabilité limitée et celles à responsabilité illimitée.
Les actes formés par une société à responsabilité illimitée avec un tiers
L’annulation des actes passés par une société à responsabilité illimitée au mépris de son intérêt social est admise par la troisième chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation.
S’agissant des sociétés civiles, la Cour de cassation a admis l’annulation d’une sûreté consentie en garantie de la dette d’un associé dès lors « qu’étant de nature à compromettre l’existence même de la société, elle serait contraire à l’intérêt social ». Cette solution s’explique notamment par le besoin de protection des associés à responsabilité indéfinie.
Par exemple, dans un arrêt du 6 janvier 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce en faveur de l’annulation d’un acte conclu par une SCI avec un tiers en raison de son défaut de conformité à l’intérêt social. Ainsi, dans une société à risques illimités est nul, l’acte, notamment la sûreté consentie par la société au mépris de son intérêt social.
Les actes formés par une société à responsabilité limitée avec un tiers
L’annulation de l’acte formé par la société avec un tiers qui serait contraire à son intérêt social ne s’applique qu’aux sociétés à responsabilité illimitée. En effet, cette solution n’a pas été transposée dans le domaine des sociétés de capitaux. La chambre commerciale considère que « la contrariété à l’intérêt social de la sûreté souscrite par une société à responsabilité limitée en garantie de la dette d’un tiers n’est pas, par elle-même, une cause de nullité de cet engagement ». Il en va de même pour un cautionnement souscrit par le président d’une SAS. La solution a plusieurs fois été affirmée par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 12 mai 2015, Cass. com., 14 février 2018, Cass. com., 16 octobre 2019).
Pour conclure, si l’annulation de l’acte pris au mépris de l’intérêt social demeure très rare en pratique, la responsabilité de son auteur peut être engagée aussi bien par la société que par les tiers.
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