Les praticiens le savent ; nombreux sont les textes législatifs qui sont semblables – et même identiques. Parmi les articles du Code civil qui traitent d’un sujet analogue se trouvent les articles 1592 et 1843-4. L’un et l’autre portent sur la question de l’estimation d’un prix lors d’une vente. Le premier énonce que l’estimation du prix de vente peut être confiée à un tiers. Le second porte sur la détermination du prix de cession de titres sociaux par un expert. Malgré leur apparente ressemblance, ils ont un objet et un régime différent. Explications.
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Sommaire
Une différence d’objet
Les articles 1592 et 1843-4 du Code civil portent sur des éléments du commerce juridique distincts et leur raison d’être juridique n’est pas identique.
La chose vendue
Alors que l’article 1592 du Code civil vise l’ensemble des choses qui appartiennent au commerce juridique, l’article 1843-4 est uniquement relatif aux actions et parts sociales.
Art. 1592 C. civ. : de la vente
L’article 1592 appartient au livre III du Code civil et au chapitre portant sur la vente. La vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer (art. 1582 C. civ.). Savoir ce qu’est une chose en Droit a pu faire l’objet d’une thèse (E. Sabathié, 2004, Paris-Panthéon-Assas). Mais il est possible de retenir que la « chose » renvoie à tout ce qui est dans le commerce juridique, du meuble à l’immeuble, du corporel à l’incorporel.
Art. 1843-4 C. civ. : de la société
L’article 1592 appartient au livre III du Code civil et au chapitre portant sur la société. L’estimation ne porte plus sur des « choses » mais sur des titres sociaux, c’est-à-dire des actions ou des parts sociales. Si ces dernières appartiennent au champ visé par l’article 1592, l’article 1843-4 a un champ d’action beaucoup moins large.
La raison d’être des articles
La ratio legis de l’article 1592 du Code civil est de faire en sorte qu’un prix soit déterminable alors que la raison d’être de l’article 1843-4 est de résoudre un conflit.
Art. 1592 C. civ. : rendre un prix déterminable
La question de la détermination du prix en droit des contrats est essentielle. Selon la célèbre formule, le prix est soit déterminé, soit déterminable. Lorsque les parties laissent l’estimation du prix à un tiers, elles reportent la détermination du prix mais décident que celui-ci sera déterminé ; en bref, il est déterminable. En cohérence, si l’estimation n’est pas réalisée, il n’y a point de vente, sauf estimation par un autre tiers.
Art. 1843-4 C. civ. : résoudre un conflit
L’article 1843-4 du Code civil est utile en cas de « contestation » sur la valeur d’une cession. Si la loi prévoit parfois un recours à l’article 1843-4 en cas de désaccord entre le cessionnaire et le cédant, les statuts peuvent procéder de même. Par exemple, les statuts d’une SAS peuvent stipuler une clause de rachat.
La jurisprudence est très claire. L’article 1843-4 est applicable aux cessions imposées par les dispositions légales ou par les statuts (Cass. Com., 5 janv. 2016). Il s’agit par exemple du rachat de parts sociales par suite d’un refus d’agrément. Il ne peut alors être utilisé pour une cession librement souhaitée (CA Versailles, 10 sept. 2009, n° 05/1862).
Une différence de régime
La différence entre les articles 1592 et 1843-4 du Code civil est mise en exergue lorsqu’ils sont lus à la lumière de la liberté contractuelle. Aussi, la situation du tiers diffère selon qu’il s’agisse d’un article ou de l’autre.
La liberté contractuelle à l’épreuve
Alors que l’estimation ouverte par l’article 1592 du Code civil a un fondement absolument contractuel, la détermination du prix du fait de l’article 1843-4 est de l’effet de la loi ou des statuts.
Art. 1592 C. civ. : un fondement contractuel
L’article 1592 du Code civil permet de stipuler dans un contrat de vente une clause de détermination a posteriori du prix par un tiers. Le contrat est la loi des parties ; celles-ci peuvent librement stipuler les critères permettant d’établir le prix.
Art. 1843-4 C. civ. : quelle disponibilité ?
La doctrine a pu discuter de la possibilité de recourir contractuellement à l’article 1843-4 du Code civil. Or, il a été déterminé que la raison d’être de l’article 1843-4 du Code civil est de dépasser des contestations. Toutefois, il semble possible de stipuler une clause indiquant qu’un tiers déterminera un prix selon les mêmes modalités que celles énoncées dans l’article 1843-4 du Code civil. L’application directe de l’article 1843-4 n’est pas recherchée ; les parties font « comme si » le texte s’appliquait.
L’obligation du tiers estimateur
Le tiers estimateur de l’article 1592 du Code civil et celui de l’article 1843-4 n’ont pas le même degré d’obligation. L’un est mandataire, l’autre est expert.
Art. 1592 C. civ. : un mandataire volontaire
D’abord, l’article 1592 du Code civil énonce que si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente. Le tiers n’est donc pas obligé à réaliser l’estimation conformément au principe de relativité des contrats. Le tiers qui accepte sa mission est le mandataire des parties qui a pour mission de fixer un prix de vente (Cass. com., 26 juin 1990).
Art. 1843-4 C. civ. : un expert obligé
Le tiers de l’article 1843-4 du Code civil a l’obligation de déterminer le prix de cession. La jurisprudence antérieure considérait qu’il était absolument libre d’établir les critères lui permettant de réaliser son estimation. Désormais, l’expert désigné doit appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.
Donc, les articles 1592 et 1843-4 du Code civil ne sont pas utilisés dans le même contexte. Il faut veiller à rechercher l’application de l’article le plus adapté à votre situation afin de sécuriser vos opérations.
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