Jean de la Fontaine, dans sa fable « La Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion » (Livre I, fable 6), met en scène quatre animaux qui se partagent une proie. Le lion n’est pas partageur et conserve le fruit de la chasse pour lui seul. Voilà ce qu’est la clause léonine ; une disposition qui favorise par excès certains associés.
En principe, la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se détermine à proportion de leur part dans le capital social. Il peut être décidé de stipuler une clause contraire (art. 1844-1 al. 1 C. civ.). Toutefois, la clause dite « léonine » est prohibée. Comment la reconnaître ? Quelles sont les conséquences d’une telle clause ? Nos explications dans le présent article.
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Sommaire
Une quadruple définition de la clause léonine
Le second alinéa de l’article 1844-1 du Code civil permet de distinguer deux grandes catégories de clauses léonines (elle-même divisées en deux sous-catégories) ; les clauses relatives à la répartition du bénéfice d’une part et les clauses relatives à la contribution aux pertes d’autre part.
Les clauses relatives au bénéfice
L’article 1844-1 du Code civil définit comme clause léonine la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société et celle excluant un associé totalement de celui-ci.
L’attribution de tous les bénéfices à un associé
C’est la « part du lion » ; la totalité des bénéfices générés par la société bénéficie à un ou plusieurs associés spécifiques. Il s’agit par exemple d’une résolution visant à distribuer des dividendes à l’associé majoritaire seulement. Une telle stipulation est léonine.
La privation d’un associé de tous les bénéfices
Il s’agit de l’hypothèse où un ou plusieurs associés déterminés sont privés des bénéfices de la société. Par exemple, il peut s’agir d’une décision collective ayant pour objet de priver de dividendes un associé alors que d’autres en bénéficient. Les juges pourraient qualifier cette clause de léonine.
Les clauses relatives aux pertes
Conformément à l’article 1844-1, est une clause léonine la stipulation qui met à la charge d’un associé la totalité des pertes et celle qui exonère un associé de celles-ci.
L’absorption de toutes les pertes par un associé
Faire peser la totalité des pertes à un ou plusieurs associés est illicite. La résolution qui décide que la contribution aux pertes au jour de la liquidation n’est supportée que par les minoritaires est une clause léonine.
L’exonération d’un associé de toutes les pertes
Participer à un projet de société, c’est prendre un risque. Être exonéré des pertes revient à échapper au risque. Une telle perspective est incompatible avec l’ordre public sociétaire.
Le régime des clauses léonines mis à l’épreuve
Le droit des sociétés exige la réputation non écrite des clauses léonines. Toutefois, la jurisprudence récente remet en cause la protection permise par ce régime en validant des conventions qui s’apparentent à des clauses léonines.
Sanction de la clause léonine
Si la sanction naturelle de la clause léonine pouvait être la nullité du contrat de société, le législateur rejette cette hypothèse et la répute non écrite.
Le rejet de la nullité du contrat de société
Conformément à l’article 1832 du Code civil, l’objet d’une société est de réaliser un bénéfice (ou une économie). La stipulation d’une clause léonine viderait ce projet de sa substance et la sanction logique serait la nullité de la société. Or, une solution si vigoureuse ne peut être accueillie favorablement en opportunité.
La réputation non écrite de la clause léonine
Les clauses léonines sont « réputées non écrites » (art. 1844-1 al. 2 C. civ.). Cette solution a l’avantage de permettre à la société de subsister. L’effet de cette sanction est l’application du principe énoncé au premier alinéa de l’article 1844-1 du Code civil ; la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes sont proportionnelles à sa participation dans le capital.
Une redéfinition contractuelle de la clause léonine
Il ne faut pas se fier aux apparences. Une série de conventions pourrait s’apparenter à des stipulations léonines – une partie de la doctrine allait d’ailleurs en ce sens. Pourtant, la jurisprudence a répondu par la négative en opportunité économique.
La cession massive de droits sociaux étalée dans le temps
Une cession de droits sociaux étalée dans le temps peut avoir un caractère léonin parce qu’une promesse unilatérale d’achat à prix fixe ou à prix plancher est consentie au cédant. L’associé ne veut pas subir la dépréciation de ses titres. Il est donc en quelque sorte exonéré des pertes.
La Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence et a confirmé la licéité de ce montage (Cass. com., 20 mai 1986, Bowater). Les juges affirment que la convention de cession a pour objet d’assurer une bonne transmission des droits sociaux moyennant un prix librement convenu.
La convention de portage
Le caractère léonin de la convention de portage peut résulter de la stipulation d’une promesse unilatérale d’achat au bénéfice du porteur. Ce dernier souhaite réaliser un bénéfice ; il perçoit les dividendes et ne va pas subir une dépréciation. En effet, il revend les titres au prix d’achat souvent augmenté d’intérêts. Le porteur conclut généralement une promesse unilatérale de vente au bénéfice du cédant.
La Cour de cassation se fonde sur la bilatéralité du montage pour le valider. Elle explique qu’avec les promesses croisées, il y a un aléa dans l’opération et qu’aucune des deux parties n’est assurée de ne rien perdre (Cass. com. 24 mai 1994).
Le capital-investissement
Un investisseur accepte d’entrer dans une société en souscrivant une augmentation de capital à la condition que les associés s’engagent à lui racheter ses droits à une date donnée et à un prix fixe (ou plancher). Le fonds ne subira pas la dépréciation des titres.
Les juges de cassation reconnaissent la particularité des investisseurs. Ils sont des « bailleurs de fonds ». Elle en déduit une application souple de l’ordre public sociétaire parce que les bailleurs de fonds ne sont pas des associés classiques (Cass. com., 16 nov. 2004) mais avant tout des investisseurs.
Pour conclure, identifier les clauses léonines est nécessaire afin de s’en prémunir. Ainsi, peut être évitée la contribution proportionnelle de l’article 1844-1 du Code civil.
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