Dans une société, les décisions sont prises à la majorité et la minorité doit s’incliner face à la décision du plus grand nombre. Il en va de l’efficacité du fonctionnement social.
Pour autant, le droit est sensible à la situation des minoritaires. Conformément à l’arrêt Clément Bayard du 3 août 1915, les prérogatives offertes par le droit subjectif ne peuvent être exercées sans limites.
Il en va ainsi en droit des sociétés où la jurisprudence prend la défense des associés minoritaires. Elle les protège contre des décisions abusives des majoritaires sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. Quelles sont les conditions de l’abus de majorité ? Quelles sont ses sanctions ? Explications.
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Sommaire
Les conditions de l’abus de majorité
La Cour de cassation a posé dans l’arrêt Schuman Picard (Cass., com. 18 avr. 1961) deux conditions à l’abus de majorité. D’abord, la décision des majoritaires doit comporter une contrariété à l’intérêt social. Ensuite, il doit exister une rupture d’égalité entre les associés majoritaires et les minoritaires.
Contrariété à l’intérêt social
L’intérêt social désigne l’ensemble des préoccupations liées à la pérennité, à la prospérité et à la responsabilité sociale de l’entreprise. Il guide les décisions des dirigeants et des associés (art. 1833 C. civ).
La protection de l’intérêt de la société
Les associés ne sont pas libres de prendre une décision contraire à l’intérêt social. Le droit des sociétés opère une distinction entre l’intérêt des associés et celui de la société.
Les juges ont une lecture fine de l’intérêt social. Ils n’exigent pas une rupture franche avec l’intérêt de la société mais recherchent si la décision est prise en considération de l’intérêt social.
Par exemple, la décision de mettre en réserve de manière systématique des bénéfices alors que la réserve légale est atteinte n’est pas contraire à l’intérêt social. Mais elle le devient s’il s’agit d’une thésaurisation aveugle sans objectif d’investissement.
Illustration de contrariété à l’intérêt social
Peuvent permettre de caractériser une contrariété à l’intérêt social des décisions qui sont contraires aux exigences de bonne gestion sociale :
- Vente d’actifs de la société à un tiers à un prix très inférieur à sa valeur vénale ;
- Augmentation démesurée de la rémunération des gérants…
La contrariété sociale vise aussi des décisions injustifiées au regard de la bonne gestion sociale :
- Mise en réserve systématique sans projet d’investissement ;
- Augmentation de capital sans besoin de financement ;
- Sous-filialisation abusive…
Rupture de l’intérêt commun
La rupture de l’intérêt commun doit être comprise comme une rupture d’égalité entre les associés majoritaires et minoritaires en conséquence de la décision votée.
Une décision qui favorise les majoritaires
La sanction de l’abus de majorité vise à prévenir les comportements égoïstes des associés majoritaires. Ceux-ci sont incompatibles avec l’affectio societatis qui exige une collaboration sur un pied d’égalité avec les autres associés (Cass. com. 3 juin 1986). Ainsi, des associés majoritaires ne peuvent voter une augmentation de capital dans le seul but de diluer la participation d’un associé minoritaire (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015).
Une rupture d’égalité de fait
Dans l’affaire Schuman Picard, la décision de mise en réserve des bénéfices prive de dividendes à la fois les associés majoritaires et les associés minoritaires. À première vue, il s’agit d’une situation d’égalité. Or, concrètement, les majoritaires sont appelés à demeurer plus longtemps associés que les minoritaires. De la même manière, ils occupent parfois des mandats de gestion rémunérateurs. Pour ces raisons, il existe une rupture d’égalité.
Sanction de l’abus de majorité
La Cour de cassation sanctionne l’abus de majorité de deux manières. Par l’annulation de la décision litigieuse d’une part ; par la réparation civile des minoritaires d’autre part.
Annulation de la délibération litigieuse
La décision source d’abus de majorité fait l’objet d’une nullité. Quelles sont les modalités de l’action en nullité de la délibération ?
Nullité de la délibération
Dans le cas où un abus de majorité est qualifié, les juges peuvent annuler la décision. Cela signifie que les parties doivent revenir à la situation antérieure. Certains auteurs considèrent qu’il ne s’agit pas d’une nullité, mais d’une réparation en nature.
Modalité de l’action en nullité
L’action en annulation de la délibération abusive doit être intentée contre la société. Le délai de prescription est de trois ans. Il commence à courir dès la délibération litigieuse.
Classiquement, ce sont les associés minoritaires qui agissent en nullité. Pour autant, tous ceux qui ont un intérêt légitime peuvent agir – y compris le gérant au nom de la société (art. 31 c. proc. civ.).
Réparation civile des minoritaires
Selon d’autres modalités, les juges peuvent accorder aux minoritaires des dommages et intérêts.
La réparation du préjudice par des dommages et intérêts
Une action en paiement de dommages et intérêts peut être envisagée sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
Modalités de l’action en paiement de dommages et intérêts
Les majoritaires doivent assigner les minoritaires afin d’obtenir le paiement de dommages et intérêts. En effet, il serait vain d’adresser une demande de dommages et intérêts à la société. Les demandeurs doivent prouver un préjudice personnel.
Une action fondée sur l’article 1240 du Code civil se prescrit par cinq ans. Par conséquent, si la prescription pour agir en nullité est acquise, il est toujours possible d’agir en paiement de dommages-intérêts.
Par ailleurs, il est tout à fait possible de cumuler deux demandes. Un associé peut demander l’annulation de la délibération et le paiement de dommages-intérêts pour la réparation du préjudice persistant.
Il est primordial de bénéficier de l’accompagnement de professionnels du droit des affaires si vous êtes confronté à une question liée à l’abus de majorité. Prenez contact avec le cabinet Billand & Messié pour obtenir une assistance juridique adaptée à vos besoins.
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