Les pouvoirs des dirigeants sont variables dans la mesure où il y a trois sortes de pouvoirs qui caractérisent la qualité de dirigeant. Le pouvoir principal et le plus caractéristique, qui peut appartenir aux dirigeants sociaux est celui de la représentation externe, qui est le pouvoir d’engager la société vis-à-vis des tiers. Le principe est celui de l’omnipotence des dirigeants, confirmée par différents textes qui énoncent que les dirigeants disposent des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Cela étant, cette omnipotence n’est pas sans limites, que ce soit dans les relations entre la société et les tiers ou dans les relations entre la société et le dirigeant.
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Sommaire
Les rapports entre la société et les tiers
Les rapports entre la société et les tiers, dits rapports externes, rencontrent des limites légales et des limites statutaires.
Les limites légales
A cet égard, il y a une seule limite légale générale, qui tient à la répartition légale des pouvoirs entre les différents organes sociaux, et qui fait que le dirigeant ne peut pas empiéter sur les prérogatives attribuées par la loi aux autres organes. Il y a des actes que le dirigeant social ne peut pas faire :
- Il ne peut pas approuver lui-même ses propres comptes, c’est le rôle de l’assemblée générale des associés ;
- Il ne peut pas se donner à lui-même les autorisations dont il a besoin. Il peut avoir besoin de l’assemblée générale des actionnaires ou des associés ; et
- Il ne peut pas modifier les statuts.
Dans ces hypothèses, si le dirigeant fait un tel acte qui relève des attributions d’un autre organe, un tel acte serait nul, quelle que soit la bonne ou la mauvaise foi du tiers.
A ce propos, un cas en revanche peut poser des difficultés : le cas où le dirigeant ferait un acte qui rendrait inéluctable une modification des statuts ou qui équivaudrait à une modification des statuts. Par exemple, dans le cas où le gérant d’une société civile immobilière, qui a pour objet de gérer tel immeuble déterminé, vend l’immeuble en question, la société n’a plus d’objet social car un tel acte a pour effet de priver la société de son objet, de sorte qu’on peut se demander s’il ne relève pas de la seule assemblée générale extraordinaire, qui peut seule décider d’une dissolution anticipée de la société.
La solution jurisprudentielle est nuancée, en ce sens que la jurisprudence se réfère seulement à l’objet statutaire (c’est-à-dire tel qu’il a été fixé par les statuts) et non pas à l’objet réel. Dans un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation de 2008 (Cass., civ., Ch. com., 7 octobre 2008, 07-18.635, publié au bulletin) où il s’agissait d’une société holding qui détenait les titres d’une seule autre société, et le dirigeant avait décidé de céder la totalité de la participation dans la société en question. La chambre commerciale a estimé que cet accord était valable dès lors que la société holding avait pour objet statutaire la prise de participation dans toute société et non pas dans celle concernée seulement. Autrement dit, l’objet statutaire restait possible.
Il existe une autre limite légale, propre aux sociétés anonymes. En effet, dans les sociétés anonymes, les cautions, avals et garanties consentis par la société doivent être nécessairement autorisés par le Conseil d’administration ou le Conseil de surveillance. Le dirigeant ne peut donc pas porter la société caution ou apporter une garantie au nom de la société.
Les limites statutaires
Les limites tenant à l’objet social
Le principe de spécialité statutaire correspond au fait que la société ne peut valablement agir que dans les limites de son objet statutaire. Logiquement, cette limitation devrait produire des effets sur les dirigeants. Cela étant, ce principe est atténué selon la forme de la société :
- Dans une société à risque illimité (société en nom collectif ou société civile), les risques encourus par les associés sont élevés, de sorte que la protection de ces associés l’emporte sur la sécurité des tiers. Ainsi, la société ne sera pas engagée par un acte du dirigeant social qui n’entrerait pas dans l’objet social, en vertu de l’article L.221-5 du Code de commerce. Cette solution vaut quel que soit l’état d’esprit du tiers : même s’il est de bonne foi, la société ne sera pas engagée.
- Dans une société à risque limité (société anonyme ou société à responsabilité limitée), la protection des associés est moins nécessaire puisque même si la société est engagée, les associés n’auront pas à répondre de cet engagement sur leur patrimoine personnel. Donc le principe est inverse, à savoir que la société est en principe engagée, même par les actes étrangers à son objet. Il existe cependant une limite : la société est engagée même par des actes étrangers à son objet sauf si la société parvient à démontrer que le tiers était de mauvaise foi ou ne pouvait ignorer que l’acte passé par le dirigeant n’entrait pas dans l’objet social. À cet égard, il fut observé que la seule publication des statuts ne suffit pas à établir la mauvaise foi du tiers.
Les limites statutaires résultant des clauses restrictives
Il s’agit de savoir quelle est la portée des clauses qui peuvent figurer dans les statuts et qui restreindraient les pouvoirs des dirigeants.
Ces clauses sont licites et efficaces dans les rapports internes. Par exemple, une clause qui prévoirait que le dirigeant ne peut pas passer tel ou tel acte sans autorisation du Conseil d’administration ou de l’Assemblée générale.
Une telle clause est tout à fait envisageable et s’impose au dirigeant, sous peine de commettre une faute dans les rapports internes.
Une telle clause est en revanche incompatible avec la sécurité des tiers, de sorte que, quel que soit le type de société, ces clauses sont inopposables aux tiers. Par conséquent, la société est engagée même s’il y a eu violation de la clause restrictive. Il n’y a aucune exception, même en cas de mauvaise foi du tiers, la société sera quand même engagée. Ainsi, la seule limite qui pourrait peut-être être apportée serait en cas de fraude, par application de la règle générale de la fraude corrompue. Le concert frauduleux, qui correspond à une entente frauduleuse, peut être sanctionné.
Ainsi, s’il existe une clause des statuts qui restreint les pouvoirs des dirigeants par rapport aux pouvoirs normaux, elle n’est pas opposable aux tiers, de sorte que la société sera engagée alors même que le dirigeant n’a pas agi conformément statuts puisqu’il n’a pas respecté les limitations prévues par les statuts.
En revanche, les tiers peuvent s’en prévaloir. La jurisprudence admet en effet qu’un tiers puisse invoquer la clause des statuts limitant les pouvoirs du dirigeant. Par exemple, si une clause a prévu que le dirigeant ne peut intenter une action en justice contre un tiers qu’avec une certaine autorisation et qu’il passe outre cette clause des statuts et qu’il engage une action sans autorisation, la société est quand même partie à l’instance. Mais si le tiers y a intérêt, il peut invoquer le fait que le dirigeant n’avait pas l’autorisation requise.
Les limites statutaires tenant à la pluralité des gérants
Le principe est que, en cas de pluralité de gérants, chacun détient individuellement le pouvoir d’engager la société de sorte qu’il n’a pas besoin de l’accord des autres pour passer un acte qui engage la société. Si une clause prévoyait un tel accord, elle serait inefficace dans les rapports externes. Dans les rapports internes, elle constituerait une faute, en tant que violation d’une règle qui s’imposait à lui.
Il y a néanmoins une certaine limite à l’indifférence de cette pluralité des gérants : la circonstance qu’il y ait plusieurs gérants permet d’exercer une sorte de droit de veto. Autrement dit, vis-à-vis des tiers, il n’est pas nécessaire que tous les dirigeants soient d’accord, en revanche, si l’un des dirigeants fait connaître son opposition à l’acte, ce sera à prendre en considération. Toutefois, il y a des conditions strictes pour que ce droit de veto soit efficace vis-à-vis des tiers. En effet, il faut que ce veto ait été signifié aux tiers avant la conclusion de l’acte, comme le prévoit l’article L.221-5 alinéa 2 du Code de commerce.
Les rapports entre le dirigeant et la société
Les rapports entre le dirigeant et la société, dits rapports internes, on ne retrouve plus ce souci de protection des tiers, de sorte que la force obligatoire du contrat peut reprendre ici son empire. Dans ces rapports dirigeant-société, toutes les violations des différentes limites, précédemment envisagées, constituent des fautes commises par le dirigeant. Dans les rapports internes, on a la violation de la stipulation contractuelle et l’engagement de la responsabilité.
Le dirigeant doit agir dans l’intérêt social, quelle que soit la société. C’est une limite de l’action du dirigeant. La faute peut fonder éventuellement la révocation du dirigeant (révocation pour juste motif, fondée sur la faute commise) et aussi être source de responsabilité.