La révocation du dirigeant, qui intervient de manière immédiate et sans rétroactivité, correspond à la cessation des fonctions de celui-ci décidée par quelqu’un d’autre que lui-même (auquel cas il s’agirait d’une démission). La révocation peut être judiciaire mais est le plus souvent décidée en interne, par les associés l’organe social habilité. Les conditions de la révocation du dirigeant varient selon le type de sociétés et il faut ainsi les avoir à l’esprit avant de procéder à une révocation de dirigeant.
Une demande spécifique ? Un avocat vous recontacte
Sommaire
Les différentes hypothèses de révocation
Il existe deux types de révocation qui correspondent à des situations précises.
La révocation ad nutum (libre révocation)
En principe, la révocation d’un dirigeant doit se faire sur un juste motif, autrement dit, être fondée sur une cause valable (une de celles énoncées ci-dessus par exemple). Néanmoins, les statuts peuvent prévoir que la révocation peut survenir ad nutum, c’est-à-dire sans motif et sans délai et est donc moins protectrice du dirigeant car il peut se voir destitué à tout moment et sans préavis.
La question qui se pose est celle de savoir si la révocation lui ouvre droit à une indemnisation. La réponse varie en fonction du type de révocation et des circonstances de la révocation.
Le principe : la révocation à tout moment et sans motif
Dans l’hypothèse où la révocation est une révocation ad nutum, qui est traditionnellement de mise pour révoquer les dirigeants dans une société anonyme et pour les administrateurs, il ne peut y avoir de convention qui entrave la faculté de révocation du dirigeant. Ainsi, le principe veut que la révocation puisse intervenir à tout moment et sans motif particulier. Elle ne peut pas donner lieu à réparation.
L’exception : l’abus du droit de révocation
Il existe une limite à ce principe qui correspond à l’abus du droit de révocation. Cet abus ne peut jamais résulter des motifs de la révocation et peut seulement résulter des circonstances dans lesquelles la révocation a eu lieu.
C’est la jurisprudence qui a défini les circonstances pouvant rendre la révocation abusive :
- L’atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant (publicité de la révocation ou des fautes présumées, privation du matériel professionnel avant le vote de la révocation), ou l’existence de circonstances vexatoires ou humiliantes à l’encontre du dirigeant ;
- La brutalité de décision de la révocation en violation du devoir de loyauté et du principe de contradiction (par exemple si le dirigeant n’a pas eu connaissance des motifs de sa révocation avant le vote, Cass. Ch. Com. 14 mai 2013, n°11-22.845 ou s’il n’a pas pu présenter ses observations avant le vote).
Si l’abus est avéré, le dirigeant victime aura droit au versement d’une indemnité, quelle que soit la forme sociale.
La révocation pour juste motif
Si la révocation est une révocation pour juste motif, elle doit trouver sa justification dans certains agissements de nature à porter atteinte à l’intérêt social.
Les dirigeants de sociétés à responsabilité limitée ou de sociétés en nom collectif sont révocables uniquement pour juste motif.
Les cas admis de justes motifs
La faute de gestion
La faute de gestion, notion floue car non définie par la loi ou la jurisprudence, correspond en général à une action ou inaction du dirigeant qui sera considérée comme fautive dès lors qu’elle irait à l’encontre de l’intérêt social. C’est d’ailleurs souvent lorsqu’un préjudice découlant de cette faute survient que la faute de gestion se révèle. Concrètement, cela se traduit par une omission (même involontaire) de souscription à une assurance professionnelle, l’inobservation des formalités de constitution de la société ou des règles de procédure (oubli d’envoi de la convocation aux assemblées générales), la violation des statuts, l’engagement de dépenses nettement supérieures aux ressources de l’entreprise, le non-paiement des cotisations sociales, la non-déclaration d’un état de cessation de paiement ou la prise de choix non-stratégiques.
Des résultats insuffisants ou l’incompétence
Un dirigeant est présumé compétent et capable de réaliser un certain chiffre d’affaires pour assurer la pérennité de l’activité de la société. Ainsi, si les résultats n’atteignent pas les objectifs escomptés ou si un manque de compétences est constaté, il peut être révoqué.
L’abus de biens sociaux
Il s’agit pour le dirigeant de société commerciale d’utiliser en connaissance de cause, des biens, le crédit, les pouvoirs ou les voix de la société à des fins personnelles, directes ou indirectes. Ces agissements sont constitutifs d’un délit, encadré par les articles L.241-3 et L.242-6 du Code de commerce. Les sanctions maximales encourues sont de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende avec éventuellement une interdiction temporaire d’exercer les fonctions de direction au sein de la société.
Le comportement du dirigeant
Parfois, l’attitude du dirigeant peut être un motif de révocation, notamment :
- Lorsqu’elle est de nature à compromettre l’intérêt de la société ou son fonctionnement ;
- Lorsqu’elle entraine une perte de confiance fondée sur des éléments objectifs, des associés envers le dirigeant.
Le désaccord entre associés et dirigeant
En cas de désaccord entre les associés et le dirigeant sur la stratégie à suivre, la révocation est justifiée.
La santé du dirigeant
L’inaptitude physique (maladie grave) ou psychologique (dépression) du dirigeant à exercer son mandat constitue également un juste motif.
Conséquences de l’existence et de l’absence d’un juste motif
L’indemnisation du préjudice
Si la révocation est réalisée pour un juste motif, elle aura un effet immédiat et ne donnera pas lieu à une quelconque indemnisation, même si elle est conventionnellement ou statutairement prévue.
A défaut d’un juste motif, la révocation demeure efficace mais peut ouvrir droit à indemnisation du préjudice causé dont le montant dépendra de l’ampleur et de la gravité du préjudice subi par le dirigeant.
L’indemnité conventionnelle
En plus de l’indemnité versée en cas de rupture abusive, une indemnité conventionnelle peut également être versée en cas de cessation des fonctions du dirigeant par révocation. Cette indemnité est surnommée « parachute doré », peut être conditionnée à l’absence de faute grave par le dirigeant pour être allouée. Le juge français a toutefois le pouvoir d’annuler cette indemnité s’il la considère excessive et disproportionnée.
La clause de non-concurrence
Dans certains cas, le dirigeant peut être soumis à une obligation de non-concurrence qui peut être inscrite dans son contrat ou dans les statuts de la société. La clause de non-concurrence lui interdit, même après son départ, qu’il soit volontaire ou non, d’exercer une activité concurrente de celle de la société à laquelle il ne fait plus partie ou de commettre des actes de concurrence déloyale (débauchage, dénigrement, désorganisation). Le respect de cette clause est impératif alors même qu’aucun versement d’une contrepartie financière (sauf clause contraire) n’est effectué.
Cette clause doit être limitée dans le temps et l’espace, être légitime et proportionnée aux intérêts de la société et vis-à-vis de l’activité interdite.
Les restitutions
Naturellement, une fois sa révocation prononcée, le dirigeant doit restituer les biens confiés dans le cadre de l’exercice de ses fonctions et notamment ses avantages en nature (voiture, logement, téléphone) et remettre les documents permettant d’assurer la continuité de son travail à son successeur.
Les règles existantes en fonction de la forme sociale
Les règles en la matière diffèrent selon la forme sociale, ainsi, il s’agit de les étudier pour chacun des types de sociétés.
La révocation du dirigeant au sein d’une société anonyme (SA)
Au sein d’une société anonyme, le Code de commerce prévoit des règles différentes selon qu’il s’agisse de la révocation du directeur général (article L.225-55 du Code de commerce), ou des membres du directoire ou du conseil de surveillance (article L.225-61 du Code de commerce).
La révocation du directeur général
Le directeur général ainsi que les directeurs généraux délégués sont librement révocables à tout moment et sans préavis par le conseil d’administration. Comme vu précédemment, une révocation sans juste motif peut ouvrir droit à des dommages-intérêts. Dans le cas où le directeur général et le Président du conseil d’administration sont les mêmes personnes, aucun dommage-intérêt ne pourra toutefois être alloué, même en l’absence de juste motif.
La révocation des membres du directoire
Les membres du directoire peuvent être révoqués par l’assemblée générale des actionnaires, ou par le conseil de surveillance si les statuts le prévoient. Comme vu précédemment, une révocation sans juste motif peut ouvrir droit à des dommages-intérêts.
La révocation des membres du conseil de surveillance ou du conseil d’administration
Ces membres sont librement révocables et ne peuvent prétendre au versement d’une indemnité, même en l’absence de juste motif. Néanmoins, il est possible de prévoir conventionnellement des indemnités versées à la fin de leur mandat.
La révocation du dirigeant et la société par actions simplifiée (SAS)
Aucune disposition du Code de commerce ne visant la révocation du Président des sociétés par actions simplifiée, ce sont aux statuts de régir les modalités. Les modalités préciseront si le vote est réalisé par l’assemblée générale ou par un autre organe désigné pour la révocation du dirigeant, s’il doit y avoir un préavis, si une indemnité est due et si un juste motif est nécessaire. Les règles sont les mêmes pour le Président de la société que le Directeur général.
La révocation du dirigeant et la société à responsabilité limitée (SARL)
Pour les sociétés à responsabilité limitée, le Code de commerce encadre plus strictement la révocation (article L.223-25 du Code de commerce).
La résolution relative à la révocation du dirigeant doit impérativement être votée lors d’une assemblée générale ordinaire (AGO), à la majorité des parts sociales (lors de la première convocation et à la majorité des votes émis lors de la seconde). Statutairement, il est possible de prévoir une majorité plus forte.
En cas de révocation sans juste motif, le gérant de la société peut se voir allouer des dommages-intérêts.
La révocation du dirigeant et la société civile (SC)
Au sein d’une société civile, comme par exemple une société civile immobilière, c’est l’article 1851 qui précise les modalités de révocation du gérant. Selon cet article, sauf disposition contraire des statuts, le gérant peut être révoqué sans préavis et sans juste motif, par une décision des associés, à la majorité des parts sociales.
Comme vu pour les sociétés à responsabilité limitée, le défaut de juste motif permet au dirigeant de percevoir des dommages-intérêts.
La révocation du gérant pour cause légitime peut également être sollicitée par la voie judiciaire à la demande d’un associé.
La procédure de révocation
La convocation de l’assemblée votant la révocation
La décision de révocation est le plus souvent prise en assemblée générale des associés. Toutefois, en présence d’un pacte d’associés, ce qui est très fréquent, la révocation peut être subordonnée à l’autorisation de l’organe de direction (comité ou conseil de surveillance), avant de procéder à la décision en assemblée classique.
La difficulté apparaissant souvent en pratique est justement la convocation de cette assemblée qui peut être complexe puisque les dirigeants étant la cible de la révocation, retardent souvent la procédure. Il est ainsi préférable d’indiquer dans ses statuts que les associés représentant plus de 10% du capital peuvent convoquer l’assemblée des associés afin de voter sur la révocation du dirigeant si celui-ci pose problème. Ce type de clause est souvent utilisée dans les sociétés par actions simplifiée afin de protéger les intérêts des investisseurs.
La décision doit être prise en respectant les règles de quorum et de majorité applicables aux assemblées générales conformément à la loi et aux statuts. Or, sauf disposition contraire, le dirigeant ciblé par la révocation, s’il est associé, ne peut pas être privé de son droit de vote. Ainsi, des situations de blocage sont très fréquentes s’il est associé majoritaire.
Afin de sortir de ces situations de blocage, tout associé peut demander la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de la révocation auprès du Tribunal de commerce compétent. Celui-ci devra alors convoquer l’assemblée générale et fixer la révocation à l’ordre du jour de l’assemblée.
Enfin, en dernier recours, il est conseillé de demander la révocation judiciaire du dirigeant si la situation met en péril la pérennité de la société.
Les formalités de publicité
De même que sa nomination, la révocation du dirigeant doit faire l’objet de formalités de publicité dans un délai d’un mois suivant la décision de révocation du dirigeant. La publicité permet de rendre opposable aux tiers la révocation du dirigeant.
Les formalités correspondent à :
- L’insertion d’un avis dans un journal d’annonces légales (JAL) ;
- Le dépôt d’un dossier, auprès du centre de formalité des entreprises (CFE) ou du greffe du tribunal de commerce, contenant :
o Un exemplaire du procès-verbal de l’assemblée révoquant le dirigeant (dont il est conseillé d’enlever les motifs afin d’éviter le caractère vexatoire et donc abusif de la révocation) ;
o L’avis publié au JAL.
Une fois le dossier déposé, le greffier procède à l’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés (RCS) et à l’insertion au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) de ce changement.
Enfin, la société recevra un nouvel extrait K-bis sera émis avec l’identité du dirigeant successeur.
Par Ines Belkheiri – Juriste
Comments are closed.